La nouvelle que j’ai récemment publiée évoque au travers des dialogues la condition des vaches d’élevage.
D’abord, voyons comment le dictionnaire définit la vache :
I. − Subst. fém.
A. − ZOOL., ZOOTECHNIE
1. a) [Désigne un genre] Bovidé domestique à cornes, femelle du taureau élevée principalement pour ses qualités de reproductrice et de laitière.
« Quelques vergers entourés de haies de pruniers sauvages, sous lesquelles ruminent de belles vaches tigrées de noir et de blanc, dont on entend les mugissements mélancoliques » (Lamart., Tailleur pierre, 1851, p. 396):
« C’est ainsi que j’ai cru, pendant des années, que les vaches avaient du lait et les bœufs du bouillon, parce que, quand le lait n’était pas bon, grand’mère disait: » C’est une mauvaise vache! » et que, quand le bouillon ne sentait rien, elle disait également: » C’est que le bœuf était mauvais!… » » (Gyp, Souv. pte fille, 1927, p. 10).1
Nous voyons que la vache est tout de suite désignée comme productrice et reproductrice. Nous voyons aussi dans les citations qu’elle n’est pas valorisée.
Une vache est un mammifère. En cela, elle est proche de nous. Tout au moins biologiquement. Voici la définition officielle d’un mammifère :
ZOOLOGIE
I.− Subst. masc. plur. Les Mammifères. Classe d’animaux vertébrés, vivipares, qui sont caractérisés essentiellement par la présence de mamelles, d’un cœur à quatre cavités, d’un système nerveux et encéphalique développé, par une température interne constante et une respiration de type pulmonaire.2
On dit rarement à propos de l’être humain qu’il est un mammifère et pourtant, il en est un par ses caractéristiques biologiques.
En tant qu’être humain, nous avons des réactions dictées par des motivations intérieures. On dira « émotions » pour nous. Nous sommes de grands émotifs, c’est certain. La crise sanitaire actuelle nous le rappelle fortement. Le contexte dans lequel nous vivons, les évènements qui ponctuent notre vie quotidienne provoquent des réactions en nous. Peur, frustration, colère, et d’autres qu’on dira plus subtiles : tristesse, déception, envie… Bien des choses se passent en nous et modifient notre comportement à tout instant. Pourquoi ne serait-ce pas la même chose chez les animaux ?
Une vache qui souffre, pour une raison ou une autre, le manifeste par ses réactions. L’époque où l’on pensait que les animaux ne souffraient pas est révolue. Les éthologues 3 l’affirment désormais et parlent de sentience animale. Mais nous le savons bien au fond de nous. Qui peut réellement penser qu’une vache à qui on enlève son petit quelques heures à peine après sa naissance, et même plus tard, ou qui est entravée dans une cage ou encore « à l’attachement » pendant la période où elle produit du lait, peut rester paisible, indifférente à ce qui lui arrive, voire « contente » ? Cela aussi relève d’une distorsion cognitive. Dans l’élevage dit traditionnel, les pratiques restent globalement les mêmes : écornages, enlèvement des veaux, attachement, sans parler des coups qu’elles reçoivent lors des transports et à l’entrée dans l’abattoir. Car la réalité est telle : au bout du compte, elles sont emmenées à l’abattoir et cela ne se fait pas gentiment, car il faut les faire monter dans la bétaillère… De plus, une vache, comme tout le monde s’accorde à le dire, n’est pas si docile.
J’ai souvent entendu dire par les personnes qui sont nées « à la campagne » ou « à la ferme » : « Tu ne sais pas ce que c’est », sous entendant que les vaches (et les cochons) sont des animaux « ingrats » au mauvais caractère. Ces personnes veulent me dire sans doute que j’idéalise les animaux. Ce n’est pas le cas. Il ne s’agit pas de faire croire que les vaches sont des animaux doux et tout le temps paisibles comme on les décrits d’ailleurs dans les romans. Ce sont des êtres sensibles, donc elles ont des « humeurs ». La peur, la frustration, la souffrance peuvent leur dicter un comportement brutal ou agressif. Je l’ai vécu :
Lors d’une promenade avec ma mère, il m’est arrivé de me faire charger par une vache suivi par tout un troupeau. Elle s’est arrêtée devant la clôture qui délimitait le champs. C’était comme dans un dessin animé, ou un film. Elle est apparue au sommet d’une colline, et elle s’est mise à courir vers nous, entraînant tout le troupeau avec elle. Le bruit de leurs sabots martelant le sol s’est mis à enfler, et elles ont dévalé la pente. Au dernier moment, elles ont bifurqué le long de la clôture. Sans cette barrière grillagée, il est probable qu’elles nous auraient piétinées. Depuis, j’ai peur lorsque je passe le long d’une prairie où paissent des vaches.
J’ai compris plus tard, que seule la vache « folle » nous chargeait, tandis que les autres la suivaient. Quel rôle jouait-elle dans le troupeau pour être suivie aussi promptement par ses compagnes ? La suivaient-elles uniquement par instinct ? J’ai aussi compris qu’il s’agissait peut-être d’une vache à qui on venait de prendre son veau. Je l’ai pensé ainsi. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que cette vache a manifesté cette agressivité juste parce qu’elle est une vache et que les vaches sont ainsi. C’est une vision faussée de la réalité, aussi faussée que de les idéaliser.
Dans son rapport sur la sentience des animaux 4, l’association One Voice évoque le cas des vaches libres de circulation et qui gardent leur veau jusqu’au sevrage : dans ce cadre, on peut observer des vaches restant auprès de leur fille qui met bas, ou de vaches ayant mis au monde un veau mort-né allant retrouver leur mère, et mère et fille restent ensemble pendant plusieurs jours. Il existe aussi des cas de bovins qui restent constamment ensemble, comme des amis. Il est aussi reconnu que les vaches à qui on enlève leur petit courent derrière le camion qui l’emporte.
Savez-vous que l’ancêtre de la vache est l’auroch ? Cet animal sauvage a disparu en raison de la chasse et de la domestication (l’homme l’a progressivement transformé pour en faire un animal d’élevage). Les aurochs que l’on retrouve aujourd’hui sont dits « reconstitués » par des méthodes génétiques. 5


L’auroch était un animal sauvage magnifique qui fascinait les hommes, il est possible que l’homme l’ait parqué, avant même de penser à l’élever, car l’auroch ne pouvait pas être domestiqué. Néanmoins, les aurochs ainsi parqués, se sont modifiés, ou ont été modifiés avec le temps, et sont devenus plus petits et plus dociles jusqu’à aboutir à la vache, le taureau et le bœuf actuels.
À présent, intéressons nous à l’élevage :
L’association L214 parlent concrètement de la vie des vaches laitières, et je vous invite à lire leur article concis et documenté à ce propos : https://www.l214.com/la-vie-des-vaches-laitieres et pour ne pas faire de « prosélytisme » l’article de l’ONG CIWF qui préconise l’élevage durable, https://www.ciwf.fr/animaux-delevage/vaches-laitieres/.
La consommation de laitage largement encouragée par la publicité est non seulement pléthorique mais elle est le moteur d’une industrialisation de l’élevage, et par conséquent d’une souffrance quotidienne pour les bovins.
La publicité nous montre des vaches heureuses, trottinant dans les près, ou nous garantit le bien-être de ces animaux. C’est un leurre, plus ou moins disproportionné.
Nos besoins et notre plaisir justifient-t-ils une telle exploitation ?
Le fromage, les yaourts valent-ils le prix de leur soumission et de leur souffrance ?
Pouvons nous décider de ne plus cautionner cette souffrance et pour cela, tout au moins, baisser notre consommation de viande et de laitage ?
Car la cause est notre alimentation.
En France, la consommation de lait diminue, mais celle de la crème, des matières grasses et du fromage augmentent. La consommation des laits végétaux ne fait pas barrage à cette croissance. (Source franceagrimer.fr, site officiel, établissement national des produits de l’agriculture et de la mer)
Le cheptel de vaches est de 7 millions 500 mille têtes. 7 millions de veaux naissent chaque année dont une grande partie n’est pas engraissée dans notre pays, ce qui exige leur transport. Avec les bœufs, uniquement destinés à l’alimentation, le cheptel est de 18 millions de têtes. Par tête, on entend un individu. Tous ces animaux achèvent leur existence dans un abattoir, y compris les vaches, lorsqu’elles sont devenues stériles, malades ou blessées, soit en moyenne au bout de 5 ans pour les vaches, 2 ans pour les bœufs, 3 à 5 mois pour les veaux. 4 millions et demi de bovins ont été abattus en France en 2019, dont 1 million de veaux (chiffres de NORMABEV 6).
Une vache a normalement une espérance de vie de 20 ans.
Y a t-il une vraie nécessité à maintenir une telle réalité ?
Pourquoi ces animaux n’ont-ils pas le droit de vivre jusqu’à un terme normal ?
On ne peut pas faire autrement disent les défenseurs de la consommation de viande, ou les consommateurs inconditionnels de viande. C’est pour notre santé ou pour notre plaisir.
Pas exactement puisque l’élevage massif est une des principales causes du réchauffement climatique. En outre, ces animaux sont traités avec des antibiotiques et d’autres médicaments qui ont une influence négative sur la santé humaine et l’environnement.
J’ai envie de conclure cette réflexion avec une synthèse de l’article de Claude Levi Strauss 7 (anthropologue français 1908/2009) : « La leçon de sagesse des vaches folles » publié en janvier 2001. 8
Pour les peuples primitifs, les hommes et les animaux étaient liés intimement. Une trace de cette relation persiste dans le besoin d’offrir à nos enfants des animaux en peluche et des livres sur les animaux. Certains peuples primitifs considèrent l’alimentation carnée comme une forme de cannibalisme. Le chasseur ou le pêcheur sait qu’en prenant une vie animale, il réduit sa propre espérance de vie. Il se mange lui-même en mangeant un autre être vivant.
La maladie de la vache folle provient de l’absorption par des bovins de farine animale (de bovin). L’homme a fait de la vache un cannibale.
La pensée qui associe le cannibalisme avec l’alimentation carnée a une source profonde.
Un jour, nous serons horrifiés en sachant que les hommes élevaient et tuaient en masse des êtres vivants pour les manger et les images de boucherie nous répugneront. Le drame de la maladie de la vache folle qui résulte de la transformation des herbivores en carnivores n’est pas seulement nuisible aux animaux, mais à nous-mêmes. Ces animaux qui nous avons manipulés pour en faire des biens de consommation, deviennent un danger pour nous-mêmes. La maladie de la vache folle s’éteindra peut-être d’elle-même ou on réussira à l’éradiquer par un vaccin ou un traitement médical, ou encore une politique sanitaire stricte concernant les animaux de consommation.
« Tous ces phénomènes bouleversent et bouleverseront de façon profonde les conditions de vie de l’humanité, annonçant une ère nouvelle où prendrait place, simplement à la suite, cet autre danger mortel que présenterait dorénavant l’alimentation carnée. » 9 La viande disparaîtra des menus, ou y sera présente de façon exceptionnelle. On la mangera conscient du risque que cela contient. Alors l’homme pourrait rompre avec les traditions et reconstruire la biodiversité. Telle pourrait être la leçon de la crise de la vache folle.
Cette vision est-elle utopique ? Peut-on croire à un tel bouleversement de notre monde centré sur l’être humain ?
Notes :
1CNRTL, Centre national de ressources textuelles et lexicales
2CNRTL, Centre national de ressources textuelles et lexicales
3Experts dans les mœurs et les comportements des animaux domestiques et sauvages
4One Voice, Rapport 2011, Sentience des animaux, émotions et conscience.
5Wikipédia, fr;wikipedia.org/wiki/Aurochs
6Le NORMABEV organise la circulation des informations d’abattage et le classement de la présentation des carcasses etc, site : normabev.net/nos-missions/
7Biographie sur France Culture, franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/claude-levi-strauss-1908-2009-lhomme-en-perspective-0
8Claude lévi-Strauss, « La leçon de sagesse des vaches folles », Études rurales, mis en ligne le 13 décembre 2016, http://journals-openedition.org/etudesrurales/27
9Claude Lévi-Strauss, « La leçon de sagesse des vaches folles »