L’idée de l’Amérindien vivant en harmonie avec la nature et les animaux est inscrite dans notre imaginaire, bien que cette civilisation ait été broyée par la colonisation et une politique d’intégration, voire d’éradication. Parallèlement à leur souhait de retrouver la libre pratique de leur culture et de leurs croyances, les autochtones d’Amérique du sud et d’Amérique du nord se présentent souvent aujourd’hui comme défenseurs de leur environnement et mènent des actions dans ce sens. On peut les admirer pour les valeurs qu’ils manifestent. Les habitants allochtones (non originaires de ce continent) se sentent attirés par leur spiritualité qui apporte une autre vision du monde, humble et apaisante. Il semble préférable d’aborder cette culture sans fantasmer ou déformer ce qui la compose. À propos des Amérindiens, il est intéressant de se demander si le rapport avec les animaux qui semble plus respectueux que celui des civilisations dont sont originaires les allochtones est vraiment ce que l’on pense.
L’être humain véritable
Pour faciliter la lecture, cet article a recours aux termes français et anglais pour nommer les indiens d’Amérique (ex, Algonquins). Il faut préciser que les Indiens préfèrent pour cela les mots issus de leur langue d’origine.
Pour les Amérindiens du Canada, il existe un mot qui désigne un être humain en harmonie avec la nature et simultanément avec sa propre nature : anicinape (pour l’homme, prononcer anishinabé) anicinape-ikwe (pour la femme, prononcer anishinabé ikwé) 1. L’anicinape n’est pas dans le paraître et ne porte pas de masque pour satisfaire au regard des autres. Il ne cherche pas à obtenir la reconnaissance des autres ou à être estimé. Il n’a pas peur du regard des autres. Il se sent rempli et en accord avec lui-même. De la sorte, il est authentique. Il ne connaît pas la frustration, l’épuisement et la confusion. Il s’estime tel qu’il est et il ne se ment pas. Il se montre aussi tel qu’il est. Il montre sa vérité, avec simplicité en commençant par être sincère avec lui-même. Il est à l’écoute de ses ressentis et de ses besoins. Il est attentif à nourrir son cœur et son âme. Il respecte son pôle masculin et son pôle féminin, sachant que les deux sont présents chez lui et complémentaires. C’est pour cette raison que les humains transgenres sont entièrement respectés dans la société amérindienne. Ils sont désignés comme « double esprit ». C’est dans l’harmonie avec la nature que l’anicinape puise cette sagesse et cette force. Il est basé sur cette nature, la « terre maman ». Il se réfère à l’influence animale pour développer ses propres vertus telles que la clairvoyance (voir clair comme un aigle) ou la persévérance (avancer pas à pas comme la tortue). De cette façon aussi, il entretient son feu sacré intérieur (son énergie vitale et sa spiritualité).
Forts de cet équilibre, l’anicinape et l’anicinape ikwe sont heureux de vivre et de partager avec les autres. L’homme et la femme équilibrés et heureux se réalisent en contact avec la nature, donc dans le respect de celle-ci.
À partir des années 1970, la figure de l’indien incarnant la pureté et l’harmonie avec la nature a été mise en avant dans la culture américaine, en particulier au cinéma avec Little Big Man d’Arthur Penn et Soldat bleu de Ralph Nelson. Il s’avère que cette image de «l’Indien écologiste» est le produit de l’homme blanc. Ainsi, le discours du Chef Seattle (1854) a été réécrit et détourné par la mouvance environnementaliste et la contre-culture américaine des années 1970 et le texte qui circule encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux n’est pas la version originale. Ce courant écologiste et antimilitariste a utilisé l’image de l’Indien pour sa lutte. Cette vie respectueuse de la nature, en fusion avec les animaux correspond-elle à la réalité ?
Quelle était la véritable relation de l’Amérindien avec son environnement ?
Les Amérindiens transformaient continuellement leur environnement par leurs activités (irrigation, déboisement et ébouage). Ils incendiaient les plaines et les sous-bois pour régénérer la végétation ou acculer le gibier, mais aussi pour l’éclaircir et y voir mieux. Néanmoins, comme ils étaient peu nombreux (7 millions au début du 20e siècle), l’impact de leurs pratiques était limité. En ce qui concerne la chasse, il arrivait qu’ils poussent les troupeaux de bisons au bord d’un précipice pour qu’ils y tombent. Beaucoup plus de bovidés que nécessaire mouraient de la sorte. On ne peut pourtant pas déterminer s’ils ont joué un rôle dans la quasi-extinction du bison étant donné la politique colonialiste qui visait à affamer les tribus en éradiquant leurs sources de nourriture. Il est probable qu’ils en aient tué beaucoup.
De façon plus certaine, ils ont contribué à la chasse exponentielle des castors, les menaçant d’extinction également. En effet, la peau des animaux était un moyen d’échange avec les blancs notamment contre les produits manufacturés, les armes à feu et l’alcool. Pour la même raison, les ours ont été menacés d’extinction. En fait, pour obtenir une reconnaissance politique ou une alliance militaire, les blancs fournissaient aux Amérindiens de l’alcool et des armes. À partir de là, les Amérindiens ont modifié leur rapport original à la nature et ils ont coupé le lien avec leurs traditions. La campagne d’assimilation a creusé davantage encore cette rupture.
Pourtant au début du 21e siècle, les tribus indiennes dans le nord et le sud de l’Amérique ont commencé à manifester contre certaines installations qui mettent en péril leur environnement (ex, le pipeline qui traverse le territoire des Sioux, la construction de structures pour l’exploitation du gaz de schiste au Mexique ou encore le projet d’oléoduc géant au Canada).
Quel est le rapport des Amérindiens aux animaux et comment a-t-il évolué ?
Pour répondre à cette question, cet article fait référence à une étude menée en 2010 auprès des Algonquins du Canada, mais un grand nombre de points sont communs avec les autres peuples.
Il est un fait que la survie et les traditions reposaient en partie sur la pêche, la chasse et le piégeage. Les Amérindiens pratiquaient par ailleurs la culture des céréales – le maïs, la courge et les haricots sont les « trois sœurs » – mais aussi la pomme de terre, la tomate, l’arachide et le cacao. Ils consommaient également des racines, du blé et du riz sauvages et fabriquaient de l’eau d’érable. En matière d’animaux, ils consommaient surtout du poisson (saumon, morue), du bison qu’ils chassaient l’été et du gibier. Les baies avaient une place d’honneur dans l’alimentation (ex, la canneberge, la myrtille). Elles étaient utilisées entre autres pour la préparation du pemmican (mélange de graisse, viande séchée et baie) pour l’hiver.
Aujourd’hui, le rapport des Amérindiens à la nature a changé en raison de plusieurs phénomènes : la christianisation, l’assimilation par le passage dans les pensionnats, le confinement dans les réserves, ont créé des ruptures dans la transmission de la culture, des traumatismes et des problèmes sociaux. Ainsi, les Algonquins, comme d’autres peuples indiens, envisagent la réappropriation de leur espace en relation avec leurs traditions. Parmi ces relations, celle entre les humains et les animaux est importante. Les Amérindiens font une distinction entre les animaux sauvages et les animaux domestiques. Ces animaux de la forêt sont le castor, l’ours noir, le renard, le rat musqué, le loup, le lièvre, l’orignal, le brochet, le doré, l’esturgeon, la gélinotte ou perdrix, le corbeau, la lagopède et l’outarde ou bernache.
Certaines croyances concernant les animaux ont été abandonnées ou transformées en passant d’une génération à une autre. Parmi ces croyances prédomine celle qui fait que les animaux ont une relation particulière avec les chasseurs. Le chasseur doit le respect à l’animal qu’il tue en contrepartie de la vie qu’il prend. Ce respect se traduit de plusieurs façons : éviter le plus possible la souffrance de l’animal, respecter ses ossements qu’on ne pose pas à terre, partager le gibier, effectuer des rites, etc. Il existe un pacte entre les hommes et les animaux dont le non-respect entraîne des sanctions (surnaturelles).
Les Algonquins considèrent que les enfants ont une communication privilégiée avec les animaux, ainsi il arrive qu’on leur attribue le nom d’un animal qui l’aura approché. Soit l’animal aura révélé un trait de son caractère soit il lui sera bénéfique tout au long de sa vie. Dans ce cas, l’Indien ne mangera jamais de cet animal.
Quelle est la place réelle de l’animal chez les Algonquins ?
Chez les Amérindiens, l’être vivant a deux dimensions : le corps physique et ce qu’on traduit par âme ou esprit, mais qui signifie plutôt le double, un corps immatériel. Ainsi les morts peuvent revenir à la vie sous forme humaine ou animale. L’homme peut se transformer en animal. La métamorphose est possible du fait que la frontière entre la vie humaine et la vie animale est très fine. Cependant, ce pouvoir de transformation est souvent dévolu au « medecin-man », le guerisseur (les Indiens réfutent le terme de shaman).
L’animal peut avoir une fonction de messager : soit il apparaît en rêve ou dans la réalité. Il apparaît pour prévenir l’être humain de quelque chose. Son apparition en rêve fait l’objet d’une grande attention. L’animal délivre un présage qu’il faut pouvoir décoder. Dans ce rôle, l’ours considéré comme l’animal le plus intelligent et le plus fort ou les canidés ont une place particulière. Ces derniers sont porteurs d’un message de mort parce que leur faculté de perception sensorielle très développée fait qu’ils discernent les odeurs de mort. C’est le cas du renard et du loup entre autres, celui-ci pouvant aussi annoncer des désastres climatiques. Les oiseaux jouent également un rôle important dans les présages : parmi eux le corbeau qu’il ne faut ni tuer ni blesser sous peine de provoquer la mort.
Le lien entre les deux univers, celui de l’homme et celui de l’animal, entraîne cette relation de cause à effet. Univers d’interdépendance ou l’observation et l’expérience permettent d’accéder à un niveau de compréhension du fonctionnement des choses. La forêt entière est marquée par la présence des animaux : traces, branches cassées ou mangées, tanières et terriers, déjections, etc. Les animaux sont des auxiliaires entre la nature et sa dimension invisible. De la sorte, ils apportent des bienfaits comme des sanctions. Le fait de chasser pour le plaisir ou le sport, d’infliger une souffrance inutile est vu comme une cause de malheur. C’est un acte considéré comme malveillant et asocial. De plus, la viande d’un animal qui a eu peur avant de mourir est altérée par l’adrénaline.
Autrefois, les cadavres d’animaux faisaient l’objet de rituels : par exemple, les os étaient accrochés à une plateforme ou aux arbres pour qu’ils ne touchent pas le sol ou bien ils étaient remis à l’eau. Mais l’influence des missionnaires a mis fin à ces rituels qualifiés de sorcelleries. Les Amérindiens ne pratiquent pas la taxidermie qui est considérée comme inconvenante et ils sont indignés par les fêtes de chasse des blancs qui exhibent leurs proies. Cette ostentation est jugée comme insultante pour les animaux, mais aussi comme un gaspillage de nourriture.
La médecine constitue un autre rapport aux animaux. Ceux-ci ont un pouvoir de guérison et de maintien de la bonne santé. Cela se traduit par le port de certaines parties de l’animal : bracelet en peau de loutre ou de castor, glandes d’outardes et de loutres utilisées dans la pharmacopée.
Chez les Algonquins attachés au mode de vie traditionnel, ne pas manger de poisson ou de viande est assimilé à une rupture avec le territoire, selon la vertu qu’on est ce qu’on mange, donc ne pas manger ce qui provient du territoire correspond à rejeter celui-ci. Cependant, les jeunes générations mangent la nourriture produite par la restauration industrielle. Ils s’adaptent au mode de vie nord-américain et selon les anciens, cela contribue à la perte de leur identité. Ils perdent aussi la capacité d’autosuffisance et de survie. Tout se mange par respect pour l’animal (tout ce qui peut l’être). La répartition des parties de l’animal répond à des codes sociaux. Les repas se prennent en collectivité. De même, la fourrure, la peau, les os et les plumes sont utilisés pour la vie quotidienne et sont des supports de transmission des savoirs et savoir-faire. Il y a encore une dizaine d’années, chez les Algonquins traditionnels être un bon chasseur, piégeur, une bonne cuisinière ou un bon artisan était synonyme de prestige et de sauvegarde de la culture.
Le concept de « Terre-maman » implique l’idée que tous les êtres vivants viennent de la terre qui prend soin d’eux et les nourrit. Dans cette spiritualité provenant de la nature, les animaux et les plantes sont des frères et sœurs des êtres humains. La nature est une immense source d’énergie avec laquelle les humains doivent retrouver une harmonie perdue. Ce concept a été mis en avant par les Amérindiens traditionalistes à partir des années 60. Il s’agit plus d’environnementalisme sous-tendu par des croyances que d’écologie. Les animaux jouent un rôle dans la spiritualité, comme créatures vivantes, partageant l’espace vital et sur un plan symbolique.
Parmi eux, l’aigle est un symbole de fraternité. Il joue un rôle dans les relations de référence, dans la communication entre le ciel et la terre, donc avec le Créateur. Sa présence se matérialise sous la forme de ses plumes. L’ours inspire le respect, voire la crainte, car il est fort est intelligent. Il peut marcher sur ses pattes arrière comme un humain et mange de tout. Sa préparation et le traitement de ses restes font l’objet d’importants rituels. On s’approprie son pouvoir en s’enduisant les cheveux de sa graisse.
« Les Algonquins n’anthropomorphisent pas les animaux : chacun occupe sa place dans l’ordonnancement des choses. Les animaux sont des « autres-qu’humains », statut ni inférieur, ni supérieur à celui des humains. Ils font partie intégrante du système social. Ils sont nécessaires au bien-être des Algonquins, physique autant que mental et spirituel, à la préservation de leur identité. Ils sont aussi nécessaires à leur avenir économique, dans le domaine de la gestion de la faune où ils cherchent à faire valoir leurs savoirs écologiques. Ils sont enfin nécessaires à la perpétuation d’un mode de vie, devenu de plus en plus fragile à cause de leur perte de contrôle sur leurs territoires, mais constamment présent dans leurs projets de société. » 2
Les Amérindiens ont-ils pratiqué la domestication ?
Dans le rapport de l’Amérindien à l’animal, le sujet de la domestication doit être abordé, car elle a été pratiqué par ces civilisations.
Les premières domestications en Amérique ont été peu diversifiées et sont apparues surtout dans le continent sud avec le lama, l’alpaga, le cobaye, le dindon et le canard à caroncule. Les deux premiers auraient été domestiqués à partir de – 5000 avant J.C (avant la civilisation inca). Cette pratique provient de la chasse. Celle-ci a donné une connaissance du comportement et du territoire des animaux qui a permis de contrôler les troupeaux entiers. Ces animaux sont utilisés pour le transport et la laine. Les mâles sont parfois tués pour leur peau et leur viande (à l’époque inca). Avec la diffusion des armes à feu (apportées par les colons), la chasse change de dimension et entraîne une extermination des vigognes (lama de petite taille). L’élevage tend aussi à s’étendre, comme celui des rennes (dans le nord). Certains animaux sont traités de sorte de rester entre la sauvagerie et l’élevage : les abeilles, les cochenilles et les chevaux. Cela résulte d’un choix. L’animal à demi domestiqué ne se laisse pas approcher et cela limite les possibilités qu’il soit volé. Le cobaye ou cochon d’Inde est le plus domestiqué des rongeurs (Amérique du sud). D’abord, il est élevé dans les villages où il joue le rôle d’éboueur, mais il représente aussi une réserve de viande. Puis, il devient un animal de compagnie en raison de sa facilité de manipulation et d’entretien. Les naturalistes en feront un sujet d’expérience et le nom « cobaye » deviendra un terme générique pour désigner les animaux de laboratoire. Le dindon est également domestiqué au Mexique vers – 5000 avant J.C. Il sera par la suite introduit en Europe comme animal de ferme, tout comme le canard de Barbarie. Ils ont d’abord été chassés avant d’être domestiqués.
Ainsi en Amérique, avant la colonisation générale, la domestication concernait un nombre réduit d’espèces. La question est :
Ces systèmes sociaux seraient-ils « non domesticateurs » ?
Les groupes sociaux autochtones sont des chasseurs-cueilleurs qui apprivoisent des animaux isolés, prélevés sur le milieu naturel, mais ne pratiquent pas la domestication d’espèces entières en dehors du chien et du cochon. L’apprivoisement se distingue de la domestication. Il est souvent le fait des femmes. Les animaux apprivoisés ne sont ni tués ni mangés.
Chez les Amérindiens et les Eskimo, le monde animal est conçu à l’image du monde humain. Il est hiérarchisé. Les chasseurs-cueilleurs entretiennent avec les animaux un rapport fondé sur l’échange, bien que cet échange puisse se solder par la mort. Les chasseurs craignent que les animaux ne se laissent plus attraper et se vengent s’ils ne sont pas respectés. Il y a un équilibre à maintenir.
Un cas particulier est celui du chien. Il est assimilé à la société en tant qu’auxiliaire de chasse et il appartient au monde masculin. Cette place particulière contribue à ce qu’il ne soit pas mangé et que sa consommation soit considérée comme illicite. Ce n’est pas le cas du cochon qui est pourtant considéré comme l’équivalent du chien. (ndl : Cet aspect mérite d’être éclairci, mais il ne le sera pas dans le cadre de cet article).
En Amérique du sud, au milieu du 16e siècle, les colons développèrent de grands élevages de bovins. Ces pratiques gagnèrent le Mexique, puis le Texas dans le nord du continent. Cependant, les colons furent débordés par leur cheptel et les animaux se répandirent dans les plaines de l’Argentine, du Brésil et de l’Orénoque. On distinguait le bétail domestiqué entre celui qui était marqué (qui avait un propriétaire connu) et celui non marqué (dont on ne connaissait pas le propriétaire), et par ailleurs, le bétail redevenu sauvage qui n’appartenait à personne et vivait caché dans les forêts. Ces animaux furent qualifiés de « marrons » du terme espagnol cimarra « fourré ». Il a ensuite été attribué aux esclaves noirs fugitifs. Ainsi, la pintade, importée d’Afrique s’est reproduite dans une telle mesure qu’elle s’est échappée de partout et a fini par constituer une espèce invasive. Ce phénomène de marronnage pléthorique a posé un réel problème dans certaines régions.
À partir du 16e siècle chez les autochtones du nord, l’élevage de chevaux se répandit très largement (Peuples Apache, Navajo, Ute, Ponca, Pawnee, Comanche, Cree, Arikara, Blackfoot, Cheyenne, Dakota, Gros ventre, Sarsi). En fait, les Amérindiens commencèrent par chasser les bovins et les chevaux qui avaient échappé à la domestication et étaient redevenus sauvages pour la viande et le cuir. Ensuite, ils montèrent les chevaux, notamment pour faire la guerre. Ainsi, chez les autochtones, la domestication s’est faite à partir des animaux marrons, il s’agit donc d’une re-domestication. Parmi ces animaux marrons, les mustangs sont les chevaux retournés à l’état sauvage. Menacés d’extinction parce qu’ils sont considérés comme envahissants et causent des dommages dans les cultures, ils sont aujourd’hui protégés par une loi. D’autres animaux issus de troupeaux retournés à la vie sauvage tels que des bovins, des ânes, des moutons, des chèvres et de nombreux cochons vivent encore dans les forêts et les marais (îles de Californie, États du sud-est, de la Virginie au Texas).
Le marronnage ne concerne que les animaux qui ont pu s’adapter à un environnement proche du leur comme le renne, ou dont le régime alimentaire est peu spécialisé tels que le cochon ou le chien, et ceux dont la domestication n’est pas très éloignée de leur vie naturelle, ainsi pour l’abeille. La domestication intensive qui laisse les animaux rechercher eux-mêmes leur nourriture favorise évidemment une perte de contrôle de ceux-ci.
Ainsi, les Autochtones ont d’abord pratiqué la chasse sélective et l’apprivoisement d’animaux sauvages isolés (notamment le chien, le bison et le caribou), puis à partir du 16e siècle, la re-domestication des animaux marrons introduits par les Européens (cheval, bœuf, pintade), animaux échappés des élevages intensifs, mais aussi des grands désordres causés par la Conquête du territoire, et non des espèces sauvages qui partageaient leur espace à l’origine.
Chez les Algonquins et de façon générale chez les peuples amérindiens, la relation aux animaux prend sa source dans les échanges physiques et spirituels avec eux, échanges qui incluent la chasse et la pêche comme pratiques fondamentales assurant la survie et l’autonomie. Il ne s’agit pas d’une relation d’amour avec les animaux, mais d’une relation d’égalité basée sur le respect du corps et de l’esprit et la crainte des sanctions, car l’animal a une âme. Il n’est ni inférieur ni supérieur. Il se place sur un axe horizontal, comme un frère ou une sœur partageant le même espace vital.
En tant qu’antispéciste, c’est cet aspect qui me semble le plus intéressant : L’animal est un être vivant, doué d’un esprit comme tous les êtres vivants, égal aux autres. On peut se demander comment ces principes auraient évolué si la civilisation amérindienne avait pu se déployer librement en restant souveraine ? Difficile d’imaginer cela puisqu’ils ont été aliénés depuis plusieurs siècles maintenant.
Bibliographie
1. À propos de l’anicinape : Marie-Josée Tardif et Dominique Rankin, Ainés de la tradition algonquine, fondateurs de Kina8at. Les Rencontres Mikana, sur www.lesrencontresmikana.com
2. Bousquet, M.-P. (2002). Les Algonquins ont-ils toujours besoin des animaux indiens ? Réflexions sur le bestiaire contemporain. Théologiques, 10(1), 63–87. https://doi.org/10.7202/008156ar
Digard Jean-Pierre. Un Aspect méconnu de l’histoire de l’Amérique : la domestication des animaux. In: L’Homme, 1992, tome 32 n°122-124. La Redécouverte de l’Amérique. pp. 253-270;
https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1992_num_32_122_369535
Marc Ouahnon, Les Amérindiens : premiers écologistes ou destructeurs de la nature ? Article paru dans le magazine GEO Histoire sur Lucky Luke et la conquête de l’Ouest (n° 41, octobre – novembre 2018).