Pourquoi opposer l’Animalité à l’Humanité ?

Le concept d’animalité s’est construit en opposition au concept d’être humain. Il demeure restreint à cette opposition animal/humain. Il marque la limite entre l’animal et l’être humain, et donc la différence entre ces deux formes de vie. Si les philosophes, religieux et scientifiques ont contribué à cette désignation, il n’a pas manqué de personnalités pour critiquer cette opposition où la raison serait le critère de fondement des droits au détriment de la sensibilité.

La philosophie occidentale, notamment les courants dominants, définit l’animal par opposition à l’homme : d’une part, l’homme doué de raison, de conscience, d’une culture et d’une âme (entre autres) et de l’autre côté l’animal privé de toutes ces facultés. Ce qui implique que les nier chez l’animal permet d’en faire les critères du statut humain. Une des voix qui a remis en question cette pensée est celle de Rousseau. Il reconsidère l’homme dans sa nature originale qui est celle d’un animal, une fois dépouillé de tous les acquis de son évolution. L’homme est un animal qui a été poussé à sortir de son état primitif pour s’adapter grâce à des moyens dont ne disposent pas les autres animaux. Ce positionnement n’entraîne pas de discrimination. Et Rousseau souligne que cette discrimination a provoqué des désastres sur le plan des droits. À la même époque, l’encyclopédiste Georges Leroy défend la thèse selon laquelle les animaux aussi ont beaucoup évolué pour s’adapter, ce que l’homme a été incapable de mesurer 1.

Le critère de la raison comme distinguant l’homme de l’animal ne mène-t-il pas à une impasse ?

Premièrement, si la raison est la possibilité de relier les idées entre elles en vue d’agir, on peut considérer que les animaux possèdent cette capacité sous une forme ou une autre.

Deuxièmement, l’être humain sur le plan biologique est un animal. Cette conception implique donc l’idée que l’homme serait animal par le corps, et sans la raison, il ne lui resterait que cette animalité. De cette conception est née une vision dualiste de l’être humain : un corps qui relève de l’animalité, réduit à une vie organique et pulsionnelle et une âme dissociée de ces phénomènes.

Troisièmement, faire de la raison – c’est à dire d’une faculté intellectuelle – le fondement des droits,  a montré ces limites (discrimination sexiste et raciale par ex.)

Considérer l’animalité comme la partie charnelle et négative ou mauvaise de l’être humain, conduit à assimiler la sexualité à la bestialité, à une souillure, et mène à la honte de ses propres pulsions. Les pulsions dites animales ou bestiales ne se limitent pas à la sexualité, ainsi la peur qui déclenche la fuite ou l’agressivité, la faim et la soif qui poussent à sortir de chez soi sont des « réflexes animaux », en bref ce que nous désignons par instincts de survie et de reproduction, « un mouvement intérieur qui pousse le sujet à exécuter des actes adaptés à un but inconscient » (définition du CNRTL). » Tout se passe comme si l’homme se sentait honteux d’être capable d’une action rabaissant sa propre personne au-dessous de la bête ».2

Ce mouvement de pensée qui consiste à animaliser l’humain et à penser cette animalité comme une part mauvaise, conduit en finalité à rabaisser l’animal. Il insiste sur la bassesse de l’animal. L’animal est pensé comme inférieur à l’être humain. Non seulement, cette pensée crée un clivage entre l’humain et l’animal, mais aussi à l’intérieur des espèces (les nuisibles, les consommables, les compagnons), ceux qui l’on tue et ceux que l’on aime et protège. Cette ambivalence s’accompagne d’une hiérarchisation des qualités attribuées aux animaux (fidélité, courage, intelligence, saleté, grossièreté, férocité, etc.) La conséquence de cette conception de l’animal privé de certaines facultés propres aux humains est d’exclure les animaux de la communauté morale, afin d’en faire des choses à la disposition de l’homme. Pourquoi ? On l’a vu : réserver des droits aux humains en considérant leurs capacités cognitives comme distinctives prive les animaux d’une valeur morale qui implique le droit au respect, la reconnaissance de l’individu et de ses intérêts propres.

Pourquoi faudrait-il être doué de raison pour avoir des droits ?

La pensée de Rousseau remet en question l’humanisme métaphysique qui octroie des droits à celui qui possède une âme, ou des facultés cognitives, dont la raison. Pourquoi la notion de sensibilité (la capacité à ressentir le plaisir et la souffrance) ne serait-elle pas également génératrice de droits ? Rousseau recherche des principes qui pourraient soutenir cette pensée : d’abord, la conservation de soi, l’intérêt de chaque individu à conserver sa vie. Ensuite, la pitié. C’est-à-dire l’aversion pour la souffrance de tout être sensible. C’est sur cette base que peut être fondé un droit naturel commun aux hommes et aux animaux. Il ne s’agit plus de se fonder sur la raison, mais sur la sensibilité.  Cette éthique est pathocentrée – elle prend la souffrance comme critère – et rassemble l’humain, l’animal et le végétal.

Le rôle fondateur de la compassion

La compassion implique qu’il y a une sensibilité à la souffrance et un sentiment d’identification à celui qui souffre. Elle ne se dicte pas, mais elle « pulvérise le point d’ancrage le plus profond : la distinction entre mon intérêt et celui d’autrui. »3 Le philosophe Schopenhauer apporte des arguments selon lesquels la compassion ou la pitié est une expérience qui fonde la morale universelle mieux que peut le faire la raison. Il met en avant le fait que la raison n’est pas nécessaire pour comprendre la loi naturelle. Cette morale universelle fondée sur la compassion englobe les animaux. Dans cette perspective, l’être humain ne commet pas de cruauté envers eux, non pas uniquement dans son propre intérêt, mais aussi dans le leur. Quand la raison fonde cette morale universelle, elle émousse la compassion de l’homme envers les animaux, car elle sert surtout l’intérêt de l’être humain. Voilà qui remet en cause l’humanisme. Il n’est pas le seul, Claude Lévi-Strauss critique l’humanisme basé sur la rupture entre l’être humain et le reste des êtres vivants. Il préconise que l’on revoie le fondement des libertés en replaçant l’être humain comme un être vivant et non plus comme un être moral. Ainsi, lui aussi met en avant que ce n’est pas la capacité à raisonner qui fonde le droit, mais la capacité à souffrir, la sensibilité. La compassion ou la pitié outrepasse les différences physiques et culturelles et permet d’accorder de la considération à tous les êtres sensibles. Elle englobe les êtres humains dans leur diversité et les animaux également. Or l’histoire a montré que l’humanisme basé sur la souveraineté de l’être humain a justifié la domination de certains peuples sur d’autres, car il amène à concevoir que certains sont plus humains d’un point de vue métaphysique. L’humanisme a imposé une hiérarchie dans laquelle les animaux n’ont aucune place.

Plus près de nous, la philosophe Sandra Laugier 4 explique à propos du terme care associé aux animaux : « Il s’agit bien de souci – ou care – dans le sens ou ce qui nous guide, c’est le constat de la vulnérabilité de l’autre, qui vient faire écho à notre propre vulnérabilité. Quand on voit un animal malade ou maltraité, on se sent touché. Parce qu’en prenant conscience de la fragilité de l’autre, nous sommes atteints dans la nôtre [] Longtemps, notre morale s’est appuyée sur une vision anthropocentrée du monde. Désormais, du fait notamment, de la prise de conscience écologique et d’études en biologie, anthropologie et éthologie, cette position de domination, certes bien réelle, ne trouve plus de justification fondamentale : on a pris au contraire la mesure de la dépendance de l’homme par rapport au reste de la nature, et aussi du fait que, sur ce plan rien ne le distingue du reste des vivants dont les animaux [] Dans les faits, on constatera que ceux qui se fichent du sort des animaux ne s’intéressent pas davantage au sort des humains, surtout éloignés. Car du fait de l’interdépendance naturelle de l’homme et du reste de la nature, le souci de l’un ne va pas sans celui de l’autre. Et dès que l’animal est menacé, l’humain l’est aussi [] Il est vain de chercher à placer le souci pour les animaux au-dessus ou au-dessous du souci pour les humains : il en est indissociable. »5

La non-violence envers les animaux naît en Inde. Elle est présente dans les textes sanskrits. Mais c’est le bouddhisme qui met cette notion au centre de l’enseignement en accord avec le principe de ne pas détruire la vie. C’est l’un des huit préceptes bouddhistes. Ce principe se traduit par la condamnation des sacrifices rituels (le rituel n’efface pas l’acte sanglant) et par l’adoption du végétarisme. Bouddha déconseille de manger de la viande, de frayer avec ceux qui en font le commerce et de procéder à des sacrifices rituels qui contribuent à supprimer la vie. Il ne l’interdit pas, mais il met en garde ceux qui s’adonnent à ces actes qui sont des fautes graves et des causes de mauvais karma. Ainsi, le roi Ashoka – qui régna de façon tyrannique et violente sur une grande partie de l’Inde entre 251 et 226 av J.-C. – après s’être converti au bouddhisme, cessa de faire la guerre, se repentit pour ses actes criminels passés et instaura un devoir de non-violence envers les animaux.

Pourtant, beaucoup de bouddhistes ne sont pas végétariens. L’enseignement du bouddha a été adapté par les moines qui recevant des offrandes de viande les ont acceptés. Les croyants laïques ont continué à en consommer. En effet, les moines ne travaillent pas et vivent des dons afin de se consacrer entièrement à l’enseignement, en outre ils prient pour les croyants. Les dons deviennent alors également une sorte « d’objet intermédiaire » garantissant le résultat de la prière. Différentes interprétations par le clergé ont rendu la consommation de viande tolérable. Mais certains bouddhistes et parmi eux des personnalités telles que Mathieu Ricard reviennent à l’enseignement fondamental du Bouddha, dénonce la cruauté envers les animaux selon le principe de compassion universelle, qui est central dans cet enseignement.

L’état d’animalité

L’enseignement bouddhiste définit dix états de vie qui sont contenus dans toute chose : les êtres humains, les animaux, les plantes, les minéraux, etc. Parmi ces dix états, il en existe trois qui ont pour particularité de rendre l’individu dépendant de son environnement. Ces trois voies sont dites « inférieures » dans la mesure où elles correspondent à une situation où nous sommes dépendants des circonstances extérieures et donc assujettis et vulnérables. Ce sont les états d’enfer, d’avidité et d’animalité. Il n’y a pas de jugement dans cette définition sous-tendue par le concept de liberté absolue.  Dans l’état d’animalité, on agit par instinct motivé par l’intérêt immédiat. On obéit à la loi du plus fort (prédation). L’ignorance caractérise cet état. L’ignorance dans le sens où on ne distingue pas les rouages profonds de l’existence. Les animaux se battent et tuent pour se protéger et survivre, cependant ils ont un ordre social, se protègent mutuellement et sont capables d’attachement et de solidarité. Chez l’être humain, l’état d’animalité correspond à perdre sa spécificité d’être humain (en sanskrit, manusya est « celui qui pense », qui aspire à la maîtrise de soi et à vivre en harmonie avec son environnement et les autres). La personne dans l’état d’animalité est absorbée par sa vie personnelle immédiate. Elle vit de manière instinctive sans discerner le vrai du faux, le bien du mal. Elle n’en a pas la notion ou la volonté. Elle est guidée par la logique de la loi du plus fort :  la crainte du plus fort ou l’intimidation du plus faible. Son espace de vie est plus large que l’état d’enfer ou d’avidité, mais elle manque d’une échelle de valeurs stable. Même s’il pense aller en direction du bonheur, un être humain dominé par l’état d’animalité est incapable de s’interroger sur lui-même et sur sa façon de vivre, alors il s’égare et finit dans la souffrance. 6

L’état d’animalité n’est donc pas propre aux animaux. Il est universel. Le bouddhisme explique que les animaux sont nés sous cette forme en raison de leur karma. Leur existence est dominée par l’état d’animalité, cependant ils possèdent les dix autres états, dont l’état de suprême liberté, l’état de bouddha. Ainsi, le fait de tuer un animal est une faute grave parce qu’il possède les racines du bien, même si elles sont en latence. Nés sous cette forme, ils endurent pour la plupart des souffrances récurrentes pour survivre dans leur milieu naturel où les circonstances sont très difficiles, ou parce qu’ils sont exploités et maltraités en raison de leur vulnérabilité. Cette vulnérabilité résulte du fait qu’ils n’ont pas la capacité et les moyens de sortir de cet état de dépendance. Le bouddhisme enseigne qu’en raison de cela, l’être humain devrait développer une grande compassion envers eux, en considérant la souffrance et la précarité de cette condition de vie. Ils devraient également les respecter parce qu’ils sont des manifestations de la vie qui contient le trésor de la boddhéité. Or, certains courants de pensée, le développement technologique et d’autres facteurs de son évolution ont créé une rupture entre l’être humain et son environnement.

L’éthologie : penser l’animal pour lui-même

Avec l’éthologie, un courant de pensée remet en question l’idée d’animalité. Il ne s’agit plus de définir l’animalité par rapport à l’être humain, mais de penser l’animal pour lui-même. Cette science basée sur l’observation des animaux dans leur milieu naturel privilégie les études de terrain. Elle étudie l’animal en relation avec les autres éléments de son environnement et s’intéresse ainsi à sa structure propre, à la fois dans sa singularité et dans son rapport aux autres. « L’animal est un sujet dans un monde, et son comportement une relation dialectique avec l’environnement ». Elle tient compte du fait qu’il existe des distinctions entre les mondes animaux. Ainsi, l’éthologie conçoit la complexité des mondes animaux, ces mondes étant propres à chaque espèce. Elle rejette les situations expérimentales et « mécanistes » en considérant qu’il y a une teneur psychologique dans la façon dont l’individu évolue dans son monde, une disposition particulière et affective propre à chaque espèce, et à chaque individu. Cela est vrai pour l’être humain également.

Anima, animus, animal 7

Carol Adams auteure féministe 8 écrit que la conception que l’on se fait de la nature humaine intensifie les différences et réduit les ressemblances entre les animaux et les êtres humains. Nous nous excluons du règne animal. Cela permet d’exploiter les animaux et de tolérer d’en tuer et d’en malmener par milliards chaque jour (élevage, chasse, captivité). Or, la pensée féministe a fait le parallèle entre le traitement des femmes et des animaux. Les animaux sont considérés comme des objets destinés à la consommation de viande et de laitage, de fourrure, à l’expérimentation, au loisir (zoos et cirques). Les femmes également ont été des corps objectivés pour la sexualité et la violence. Leurs droits à la liberté de choix et de mouvement ont également été restreints, voire supprimés. Elle compare cette condition à celles de poules encagées. Beaucoup de féministes ont fait le rapport entre l’oppression des femmes et la domestication et l’exploitation des animaux. Des anthropologues ont fait un lien entre la domination mâle et les systèmes économiques basés sur l’exploitation et la suppression des droits. En outre, certaines méthodes de reproduction appliquées aux femmes ont d’abord été développées dans l’industrie de l’élevage bovin. Des philosophes féministes ont aussi dénoncé le fait que tout système où la science utilise l’expérimentation animale et la défend va de pair avec des conceptions sexistes, racistes et discriminatoires. Pourquoi ? Parce que ce type de science repose sur une sélection des sujets de recherche définie et imposée par des humains mâles principalement blancs, hétérosexuels et de classe supérieure.

Pourtant, beaucoup de gens ne conçoivent pas que les droits des animaux et des femmes sont comparables. Sandra Laugier met en cause les méthodes des défenseurs des animaux qui ont pu ainsi utiliser maladroitement l’image de la femme dans certaines de leurs campagnes ou négliger le fait que les femmes se sentent plus concernées par le droit des animaux. Ils ont aussi manqué de subtilité dans certains sujets comme celui de la fertilité et de la reproduction. Néanmoins, comme les défenseurs des animaux sont souvent accusés d’être anti-humain, les féministes sont accusées d’être anti-homme. Il est clair pour les philosophes féministes que ces divisions sont générées par l’ignorance. D’abord, ignorance très répandue que l’industrie de l’élevage contribue largement à la dégradation de l’environnement et à l’équilibre de la répartition alimentaire. Une grande partie de l’eau tirée des ressources non renouvelables est utilisée par cette industrie. De même, une grande partie des sources d’eau est polluée par les rejets de cette industrie. L’industrie de la viande consomme également beaucoup de ressources énergétiques (carburant, production de nourriture, maintenance des structures). Enfin, elle a pour conséquence l’érosion de la couche fertile, la déforestation, l’émission de méthane.

Cette démonstration semble s’éloigner du sujet même de l’animalité. Pourtant, cette exploitation des animaux est préjudiciable à l’être humain. En effet, considérer que la souffrance animale est essentielle au progrès humain, à son bien-être et à sa survie banalise la condition animale et finalement altère l’humanité elle-même.  On rejoint ici l’idée qu’opposer l’être animal à l’être humain est en fin de compte préjudiciable aux deux, car les deux sont étroitement liés. En outre, dire que défendre les droits des animaux est anti-humain, c’est refuser le changement nécessaire – un changement personnel – pour tous, y compris l’être humain. Accepter les arguments en faveur des droits des animaux, comme accepter les arguments des droits des femmes, mène à ce qu’on ne peut plus vivre comme avant. Il est difficile d’ouvrir les yeux sur une injustice et une souffrance à laquelle on a pu participer, même si c’est par ignorance.

Culture animale

En novembre 2014, la Convention sur la conservation des espèces migratrices reconnaît « qu’un certain nombre d’espèces mammifères socialement complexes montrent qu’elles ont une culture non humaine » (23e résolution de cette convention). L’existence des cultures non humaines est connue depuis longtemps, mais cette convention les reconnaît officiellement (en partie). Qu’est-ce qu’une culture ? Un ensemble de savoirs ou de compétences que les êtres vivants sont capables de transmettre aux autres, fonction qu’on désigne par apprentissage social. Cet apprentissage n’est pas exclusif aux mammifères. On l’observe chez les oiseaux qui sont capables de s’adapter aux habitudes humaines et de se transmettre cet apprentissage de génération en génération. Cette faculté est bien connue chez les singes, mais cela varie d’une espèce à l’autre, et même à l’intérieur d’une même espèce (ainsi pour la poignée de main chez les chimpanzés). Des études de groupes de chimpanzés dans leur milieu naturel ont confirmé que chaque groupe a ses traditions comportementales (communication, usage d’outils et de plantes médicinales, alimentation, couchage, pratiques sexuelles). L’étude du chant des cétacés montre l’existence de dialectes qui évoluent, par exemple à la suite d’une migration (intégration dans le groupe d’individus venus d’autres régions). Des dauphins femelles ont recours à des éponges pour se protéger le nez lorsqu’elles raclent le fond en recherchant la nourriture. Cette pratique ne se transmet que de mère en fille (pas d’explication trouvée à ce jour). Chez les poissons, il existe une transmission générationnelle des lieux de ponte, des chemins de recherche de nourriture, propre aux groupes vivant dans un même endroit. L’individu qui transmet réduit ses propres performances pour s’adapter à l’apprenant tout en le mettant dans la situation, surtout dans la recherche de nourriture. Chez les éléphants, les plus vieux aident les jeunes adultes à contenir leur agressivité lors de leur période d’augmentation de testostérone. Des expériences très significatives ont prouvé que la présence des vieux éléphants dans un troupeau enraye l’agressivité des jeunes mâles et participe donc au comportement naturellement pacifique de ces animaux (ces exemples sont tirés d’un article de Pierre Sigler, rédacteur aux Cahiers antispécistes 9).

Ces différentes approches des animaux relèvent des sciences de la vie, des sciences sociales et de la philosophie. Elles poussent à ne plus considérer les animaux uniquement comme espèce, mais également comme des individus qui transmettent, apprennent, partagent, font preuve d’initiative et d’inventivité. On est loin alors de l’animal stupide, uniquement guidé par de bas instincts.

Quand on considère l’animal comme un individu au sein d’une espèce avec ses spécificités, on peut mieux comprendre que tout en étant différent de l’être humain, il n’est ni insignifiant ni mauvais. Il est différent, conduit par ses propres motivations dans son monde distinctif. Nous le voyons souvent comme un danger pour nous en raison de son potentiel agressif. Ce danger est réel, notamment pour les canidés et les félins, les reptiles, les mammifères marins carnivores, etc. Mais si l’on compare l’animal à l’humain pour définir son degré de moralité, on le compare rarement pour évaluer son degré de dangerosité. Or, certaines activités humaines telles que les homicides volontaires et involontaires, les guerres, l’industrie intensive, la pollution, la dégradation globale de la vie sur Terre sont responsables de nombre de victimes. Comment justifier une telle réalité sans rester prisonniers de notre propre ignorance, et pour le coup, de notre propre animalité ?


NDL : les quatre premiers paragraphes sont inspirés de l’article de Florence Burgat, philosophe française.

1. Georges Leroy, Lettres sur les animaux, 1781.

2. Kant, Métaphysique des mœurs, 1797.

3. Florence Burgat, »Animalité« , Encyclopaedia Universalis, 2004.

4. Spécialiste du care et auteure de Tous vulnérable ? Le care, les animaux et l’environnement, eds Payot, 2012.

5. Sandra Laugier, « L’attention à l’animal élargit notre sens moral« , magazine Psychologie Hors série, décembre 2018 – janvier 2019.

6. Définition d’après Daïsaku Ikeda, maître bouddhiste, Le Cycle de la Vie, eds L’Harmattan, 2006.

7. Anima, animus, animal par Carol Adams, Cahiers antispécistes n°03 – avril 1992.

8. Carol J. Adams, The Sexual Politics of Meat, A Feminist-Vegetarian Critical Theory, Polity Press, Cambridge, 1990.

9. Pierre Sigler, « L’existence des cultures animales est officiellement reconnue« , Cahiers antispécistes, janvier 2015.