Dans cet article, je propose de rapporter la vision d’un vétérinaire très spécial, Norin Chai qui croit fermement que les animaux peuvent nous aider à retrouver notre pleine humanité. Il prend en compte que chaque animal vit dans son propre monde (dominé par certains sens : acoustique, odorat, champ électrique etc.) et qu’il est étroitement lié à son environnement. De plus, il ne perd pas de vue que si une maladie est caractéristique à une espèce, chaque animal garde son individualité. Il le soigne en tant que personne.
Il est né au Cambodge en 1969. Sa famille fuit le génocide organisé par les Khmers rouges et gagne la France. Enfant, il a promis à son ours Yaboumba de sauver tous les animaux de la barbarie humaine. Il fait des études de vétérinaire à l’École Nationale Vétérinaire de Maisons-Alfort. Il décide de soigner les animaux de la faune sauvage et des zoos, c’est à dire dans et hors leur milieu de vie naturelle. Il soigne avec « amour », en communiquant avec l’animal, en considérant ses conditions de vie, de façon holistique. Norin Chai pratique ce qu’on désigne comme le médical training, une méthode de soins qui requiert la coopération de l’animal.
Toutes les informations suivantes sont basées sur sa propre expérience et sur des expériences et observations menées par d’autres spécialistes de la faune rapportées dans son livre « Sagesse animale« , paru aux éditions Stock en 2018 (et une vidéo-conférence à laquelle j’ai assisté).
En soignant les animaux sauvages ou captifs, Norin Chai a le sentiment de mener le même combat que le bouddha Shakyamuni. Pour lui, tous les êtres vivants sont reliés par « un même fil ». Il a d’ailleurs pensé un temps à devenir moine. Pour lui, il n’y a pas de frontières entre les espèces mais des formes différentes. Selon Norin Chai, les animaux peuvent aider les hommes à retrouver leur humanité. L’animal ne cherche pas la sagesse, il la pratique naturellement.
« J’en ai la conviction, les animaux peuvent nous aider à trouver ou à retrouver le chemin (perdu pour beaucoup d’entre nous) de nos émotions. Une fois réactivée, cette force – car c’en est une – ne nous quittera plus. L’intelligence émotionnelle des animaux leur ouvre grandes les portes des mondes intérieurs de leurs congénères, de l’homme, de tous les autres mammifères. Si l’homme en faisait autant, nos sociétés humaines seraient peut-être débarrassées de ces fléaux, nés le plus souvent de la stérilité émotionnelle qui se nomment la violence, le racisme et la haine ».
La vie émotionnelle chez l’animal
Les animaux ont des émotions négatives, peur, stress, détresse, souffrance et ennui (l’ennui est fréquent chez les animaux captifs). Il y a une différence entre le stress bénéfique qui permet à l’animal de réagir pour sa survie et le stress chronique qui trouble ses capacités adaptatives et finalement qui est néfaste à sa santé. Entre autres activités, le dressage fondé sur des pratiques punitives ou de soumission causent des troubles physiques et psychiques (le dressage doux ou violent repose toujours sur une manipulation des émotions de l’animal).
L’animal n’a pas besoin d’être aimé. Il a besoin d’être respecté, c’est à dire qu’on prenne en compte son état émotionnel. Pour communiquer avec l’animal, la technique seule ne suffit pas. Les émotions jouent un rôle essentiel. Le soignant gagne à ne pas couper le canal des émotions, le partage émotionnel.
L’animal perçoit le monde tel qu’il est avec ses sens. Il éprouve le concret, le ressenti de la mort, tandis que l’homme tend à conceptualiser les choses. L’homme a mis des mots sur toute chose et les mots façonnent son monde (ce qui explique pourquoi certains personnages ont pu fasciner et dominer les foules). L’univers humain est rempli de représentations qui lui permettent d’échapper au réel, de se projeter dans un au-delà.
Norin Chai l’affirme : L’animal nous appelle à la nécessité du partage des émotions entre les êtres vivants. Cette faculté d’empathie qui permet de se représenter le monde intérieur de l’autre être vivant. Il ne se décide qu’en fonction du sentiment de confiance qu’on lui inspire. Il est impossible de tricher avec lui. Il nous rappelle la nécessité de communiquer de l’intérieur vers l’extérieur.
Par ailleurs, les animaux ne portent aucun jugement. Estropié, mal formé, cela n’a aucune importance pour eux. Par exemple, l’albinisme n’est pas rejeté chez eux. Le comportement des animaux repose sur des rituels qui ne sont ni abstraits ni religieux. Ils peuvent ou pas les respecter. Il ne cherche pas la bonne action. L’homosexualité existe à l’état naturel chez eux. Ils ont des rapports sexuels pour se reproduire, mais aussi pour se faire plaisir. Les animaux s’amusent très souvent.
La violence du monde animal
Bien sûr, il arrive qu’ils rejettent certains individus de leur groupe. Ce rejet est lié à l’état psychologique ou physique de la mère (ceci est fréquent dans les zoos), ou en raison d’une anomalie génétique qui fait qu’elle ne reconnaît pas son petit comme un individu de son espèce, elle peut même en avoir peur. Le rejet peut résulter aussi du fait qu’un individu a enfreint les codes du groupe (fratricide par exemple).
L’usage de la violence chez les animaux est uniquement destiné à se nourrir, se protéger d’une menace, et défendre son espace vital. En dehors de cela, ils l’évitent et adoptent des comportements symboliques. D’abord, ils recourent à l’intimidation. Si elle ne suffit pas, vient le combat. L’agression diffère selon qu’elle à lieu entre des individus d’une même espèce ou d’espèces différentes. Le comportement agressifs des animaux visent rarement la mort (en dehors de la chasse). Un individu dominé fait comprendre qu’il se soumet en adoptant des postures d’apaisement. Chez l’homme, ce blocage de violence a disparu. L’éthique ne suffit pas à éviter les déchaînements de violence. Les seuls animaux qui font la guerre sont les chimpanzés (cela a été observé dans certains groupes). Le chimpanzé partage 98 % de notre capital génétique. La violence chez les animaux est réelle : la chasse, l’infanticide, la violence sexuelle, mais il n’y a pas de perversité dans ces comportements, c’est à dire qu’il n’y a pas d’intention de faire le mal.
L’empathie chez les animaux
À côté de cela, il existe des comportements altruistes chez les animaux qui favorisent la propagation de leur espèce. Il faut plutôt parler d’empathie chez les animaux. Comme pour les humains, l’ocytocine joue un rôle dans ce comportement. Cette hormone que l’on appelle communément « l’hormone du bonheur », est sécrétée par l’hypophyse lors de la grossesse et l’allaitement chez les mères, mais de façon plus générale dans l’attachement et le lien social. On observe des exemples d’empathie chez les éléphants, et même entre certaines espèces. Les chiens et les chats nous permettent d’augmenter nos propres ocytocines.
Norin Chai insiste : Les animaux ne peuvent pas se couper de leur animalité. Ils sont rarement monogames (ni les loups, ni les flamands roses comme on le croit), mais ils connaissent l’amitié et le partage. La coopération existe partout chez les animaux pour chasser, pour se protéger des prédateurs. Il existe deux sortes de coopération : naturelle et contractuelle. La coopération naturelle résulte de l’organisation spontanée d’un groupe d’individus (par exemple les crèches collectives chez certaines espèces : les petits restent sous la surveillance d’un membre du groupe pendant que les autres vont chercher la nourriture). La coopération contractuelle est plus étonnante : les animaux d’un groupe peuvent unir leurs efforts dans une même tâche. Ces comportements ne sont pas imposés, ils font alors appel à leurs facultés cognitives pour agir ensemble. Ils coordonnent leurs efforts. La coopération chez l’animal n’est pas faussée par l’intérêt personnel à long terme. Chez les humains, souvent la coopération n’est plus spontanée. Il faut des circonstances particulières pour qu’elle s’enclenche.
Les animaux ont une intelligence collective, une conscience de groupe. Cela peut facilement s’observer. Cependant, chaque animal a sa personnalité. Chacun est différent, chacun a sa place dans le groupe et participe à la marche de l’ensemble. Pour l’animal, on devrait plutôt parler d’espace vital et non de territoire. C’est l’homme qui le définit ainsi avec son vocabulaire propre. En réalité, l’animal partage son espace vital. La façon dont il occupe son milieu et le marquage réduisent les combats et régulent la coexistence pacifique. Chacun vit à bonne distance de l’autre.
La santé chez les animaux
Les animaux ont la sagesse du corps. Ils sont à l’écoute de leur corps. L’animal évolue dans son milieu. Si celui-ci est malade, l’animal est malade. Il a besoin d’être en équilibre avec son milieu. Il a recourt à l’automédication : l’herbe pour se purger, les plantes et écorces anti-parasitaires, fruits bactéricides, l’argile pour favoriser la digestion etc. Autant de comportements naturels dont notre médecine peut s’inspirer. L’animal, son corps, ses émotions, son environnement et son alimentation (ainsi que son propriétaire quand il en a un), tout est lié. Son état de santé dépend de tout cela. Norin Chai est convaincu que notre médecine a tout à gagner en adoptant cette vision holistique. Il s’agit en réalité de tenir compte du fait que tout est relié, que la maladie résulte d’un ensemble de facteurs co-agissants. L’état de santé est sans cesse en évolution. Les animaux vivent l’impermanence. Nous humains avons souvent perdu la notion de cette impermanence qui caractérise notre vie.
La souffrance animale et la souffrance humaine ont en commun le besoin : les besoins fondamentaux comme se nourrir et se désaltérer, puis celui d’un abri où se reposer en sécurité, le besoin de se reproduire, de faire partie d’un groupe. On pense que le besoin d’estime de soi est caractéristique de l’être humain. L’observation des animaux prouve le contraire. Les animaux ont besoin d’être reconnus, de prendre leur place, d’être respectés. Dans le cas contraire, leur comportement traduit ce manque. L’animal résiste mieux à l’avidité. Il ne connaît pas la frénésie du désir qui n’a pas de limite chez l’homme. Dans nos sociétés sédentarisées beaucoup de conflits basés sur la concurrence, la convoitise, la férocité peuvent s’exprimer de façon très étendue et donner lieu à une course sans fin. Ce qui ne se produit pas chez les animaux. Norin Chai qualifie cela « d’emballement du désir » qui n’existe que chez l’homme. En observant les animaux, nous pourrions méditer sur nos excès et résister à cet embrasement.
La conscience de soi
En tant qu’êtres vivants doués de sensibilité, ont-ils une conscience de soi ? Peu d’animaux « réussissent » le test du miroir (qui consiste à établir si l’animal comprend que c’est une surface réfléchissante et dans certains cas, s’il comprend être face à son propre reflet). Les grands singes (mais pas le gorille), les cochons, les pies passent ce test. Peut-on affirmer qu’échouer à ce test signifie que les animaux n’ont pas une forme de conscience de soi ? D’autres tests ont montré que les grands singes peuvent anticiper les réactions d’un autre sujet. Cela signifie qu’ils peuvent se mettre à la place de ce sujet.
Les animaux ne s’apitoient pas sur eux-mêmes. Ils font du mieux possible avec ce qu’ils ont. Ils ont le sens du temps (constat fait après observation), une forme de mémoire et des capacités d’anticipation sous forme élémentaire. Ils accumulent une expérience du monde, on peut le constater chez tous les animaux. Ceci tend à confirmer qu’ils ont une mémoire automatique qui leur permet de répéter des comportements vitaux. Il se peut qu’ils aient des souvenirs, cependant on ne peut pas comparer cette capacité avec celle des humains. Pour l’essentiel, les animaux vivent dans le présent. Tels qu’ils sont, nous devons les respecter.
Des scènes observées depuis très longtemps rapportent des comportements qui pourraient être assimilés à des rites funéraires chez certains animaux (dauphins, éléphants, pies). Rien ne le confirme, mais il est certain que la mort de l’un de leurs congénères ne les laissent pas indifférents. Les histoires de chiens qui reviennent sur la tombe de leur maître sont réelles. Norin Chai en relate une particulièrement forte dans son livre. Il se peut que nous projetions sur ces chiens notre imaginaire anthropomorphique. Mais, on ne peut nier que le chien est un animal de meute. Lorsque le chef de sa meute disparaît, il est désorienté et anxieux. Norin Chai ne croit pas que les animaux se suicident. D’après lui, la mort collective de certaines espèces (baleines, lemmings) s’expliquent par des phénomènes liées aux circonstances.
La rupture entre l’homme et l’animal
Norin Chai pense que l’antispécisme va devenir une normalité, mais que cela prendra du temps. Il situe la coupure entre l’homme et l’animal au Néolithique quand l’homme s’est sédentarisé et a pratiqué l’élevage. Jusque là, l’homme était nomade, partageait le même espace vital que les animaux. Il était avant tout cueilleur (plus que chasseur). Il a développé la chasse lorsqu’il a commencé à créer des outils (chez les sapiens). Les peintures pariétales montrent que les hommes respectaient les animaux. Ils peignaient peu de scènes de chasse et davantage des représentations valorisées, voire divinisées, des animaux. Ceux-ci tenaient une place importante dans la vie spirituelle des hommes. Puis, l’être humain s’est coupé de l’animal et s’est mis à peindre principalement des scènes de chasse. La sédentarisation l’a poussé à développer son intelligence logique au dépend de sa vie émotionnelle, instinctuelle. Plus il a évolué dans ce sens, plus il a exploité et réduit les animaux à un objet de consommation ou de divertissement. Norin Chai insiste sur le fait que dans ce combat pour étendre l’antispécisme, il est important de ne pas idéaliser les animaux et de les considérer tels qu’ils sont. Il existe des différences importantes entre l’homme et l’animal. Cependant, les animaux peuvent aider les êtres humains en les inspirant. L’homme vit dans l’urgence parce qu’il a conscience de sa propre mort. Il vit dans l’angoisse de sa mortalité. Si nous considérons et respectons les animaux tels qu’ils sont, certainement ils nous apporteront quelque chose en retour. Quand protéger les animaux sera une évidence, nous aurons atteint un stade où nous aurons dépassé la frustration lié à l’insatisfaction de l’égo, à l’avidité du « soi ». C’est ce que Norin Chai appelle le sixième étage (en lien avec la pyramide de Maslow) :
« Ce sixième étage, je le vois comme un horizon, l’aboutissement qui donnerait du sens à ma vie et à mon travail. J’ai aussi la conviction que les retrouvailles de l’humanité avec son animalité oubliée (et la sagesse qu’elle porte) seront une étape décisive dans cette marche en avant, qui culminera avec la fin de toute souffrance. C’est en tout cas le but que je me suis fixé, il y a près d’un demi-siècle, quand je voyais mon pays, le Cambodge, en proie à la folie meurtrière des hommes.«
(Je n’ai pas parlé de la zoothérapie que Norin Chai soutient, car je ne suis pas en accord avec cette activité. Dans ces pratiques, les animaux me paraissent encore utilisés, dressés ou manipulés pour le bien-être de l’homme et je ne suis pas convaincue qu’ils en tirent un réel bénéfice.
Olivia de Bergerac qui nage avec les dauphins et organisent des stages de rencontre avec eux, ne pratique qu’avec des dauphins en liberté qui choisissent de s’approcher ou non. Elle explique ainsi qu’un dauphin en parc aquatique ne peut pas être heureux car il ne peut pas exercer ses ondes comme dans la nature.)
Que pouvons-nous encore apprendre ?
Des animaux nous pourrions apprendre et accepter que les autres ont leur propre monde. L’animal est authentique dans le sens où il est lui-même. Il ne cherche pas à être ce qu’il n’est pas. S’il lui arrive d’être pervers, ce n’est pas intentionnel. Les propriétaires qui disent aimer leurs animaux, mais ne les respectent pas favorisent l’apparition de pathologies chez eux. Ils projettent sur eux leurs désirs, ce qu’ils attendent. Or chaque individu a sa propre histoire. Il faut savoir s’excuser auprès des animaux quand on réalise qu’on ne les a pas compris.
L’être humain évolue dans le monde des idées. Les mots sont devenus plus importants que leur contenu. De là provient le sectarisme. L’animal n’a pas de mots. Il a un langage (avec une syntaxe), mais l’information qu’il donne n’est pas figée. Elle varie selon le contexte. Pas de dogmatisme, chez eux. Le « mot » n’a pas le même impact selon le contexte. De même pour la temporalité : chez l’humain, elle est cadrée et figée, chez l’animal chaque instant est unique.
La sagesse animale consisterait donc à retrouver notre animalité grâce à un échange permanent avec notre environnement, un échange physiologique, énergétique (vibratoire). Comprendre en quoi notre environnement psychologique n’est pas adapté et en percevoir les signes (mal de dos, de tête, allergies etc.). Ne plus fonctionner comme des « zombies-masse » qui suivent les injonctions de l’extérieur, mais partir de notre intérieur. En cultivant notre sécurité pour nous rassurer, nous n’avons plus conscience d’être vivants. Être vivant, avoir conscience d’être vivant nous aiderait à reconquérir notre liberté.
Bibliographie et images :
Sagesse animale, Comment les animaux peuvent nous rendre plus humains, Norin Chai, eds Stock, Le livre de poche, 2018.
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